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Stéphane Ternoise, pour le salon du livre du net :
- A 33 ans, sortait votre premier roman, « Holçarté », chez Calmann-Lévy, 1977. Quel souvenir ? Quel accueil ?
Gérard Glatt : -
Quel souvenir ? L'un des plus beaux de ma vie. Mais je dis ça à chaque fois qu'un livre sort, comme je le dis à chaque fois qu'un éditeur m'apprend que mon manuscrit a été retenu. En l'occurrence, pour « Holçarté », mon éditeur était Roger Vrigny, prix Femina tandis que je l'avais en classe de première comme professeur de latin/français, et, plus tard, Grand Prix de l'Académie Française. A cette époque il était devenu directeur littéraire chez Calmann Lévy. C'est par hasard que je l'ai retrouvé là, mais il m'avait déjà lu lorsque j'étais dans sa classe. Avec lui, pour qu' « Holçarté » soit publié, j'ai travaillé comme un fou. J'étais heureux. Le manuscrit avait été soumis à des gens comme Frédéric Vitoux, Alain Bosquet. Lors de sa sortie, le livre a été bien accueilli. Certains critiques, me comparant entre autre à Henri Bordeaux, me promettaient un bel avenir. L'Académie Française était à ma portée. A ce moment, j'avais si peu confiance en moi - ce qui ne m'a jamais quitté -, ces compliments me faisaient plutôt sourire.
- Puis 31 années se sont écoulées avant la publication du deuxième. Je vous suppose happé par « la vie professionnelle »... En fut-il ainsi ?
- Oui, certainement. En fait, je n'ai pas eu le courage de ma vocation. Pas eu le front de lui répondre. Comme je le dis souvent, je n'ai jamais su faire qu'une chose, je n'ai jamais eu dans l'idée qu'une chose : écrire. Ça a commencé j'avais six, sept ans. Ensuite, jusqu'à aujourd'hui, je n'ai fait que ça, profitant du moindre instant disponible. J'ai quitté l'administration des douanes, très vite. Au bout de trois ans, quatre ans. Dès que j'avais cinq minutes, j'écrivais. Des poèmes, des nouvelles, un roman. J'y ai rencontré un très bel écrivain, il avait une plume extraordinaire, d'une finesse incroyable : Pierre Silvain. Lui et Roger Vrigny m'ont suivi, m'ont lu, chacun jusqu'à sa disparition. A la mort de Vrigny, j'ai pleuré comme si j'avais perdu mon père. Peut-être davantage. A la mort de Pierre Silvain, j'ai cru que pour moi tout était fini... Happé n'est peut-être pas le mot juste. A 33 ans, j'avais une femme, une fille, je n'avais pas le droit, me semblait-il, de tenter le diable. La littérature ne nous aurait pas nourris. Aujourd'hui, je me dis que j'ai peut-être eu tort...
- Cette « vie professionnelle », finalement, vous la décrivez « peu satisfaisante »... Pouvez-vous nous en narrer quelques grandeurs et misères ?
- Ça me paraît difficile. Un seul exemple, tant pis si c'est un peu long, mais il ne nous éloignera pas de la littérature. J'ai quitté l'administration des douanes pour devenir conseil en commerce extérieur. Je ne m'occupais que d'affaires concernant le droit douanier. A cette époque, la réglementation des changes faisait partie intégrante de ce droit. Une réglementation qui prévoyait bien plus drastiquement qu'aujourd'hui ce que chacun avait le droit ou l'obligation de faire ou de ne pas faire en matière financière sous peine de supporter des pénalités exorbitantes, voire d'être poursuivi en correctionnel. Ainsi, un jour, je dois m'occuper d'une affaire concernant Patricia Highsmith, la célèbre écrivaine américaine. Qu'avait-elle fait de mal ? Elle habitait en France, près de Fontainebleau. Les douanes apprennent qu'elle touche des droits d'auteurs aux USA et qu’elle les y laisse. Il en est ainsi depuis des décennies. Et elle est bien loin de s'être jamais préoccupée d'une réglementation qu'elle ignore et qui lui impose de rapatrier en France l'ensemble de ses avoirs. On va de procès-verbal en procès-verbal. La pauvre est d'accord sur tout ce qui lui est demandé. Si elle doit rapatrier « son argent » en France, elle n'y voit aucun inconvénient. De toutes les façons, aux USA, ils ont payés les impôts. Pour l'administration, la question n'est pas là. Elle aurait dû... Et elle n'a pas... Point final ! Je fais de mon mieux, comme conseil, pour calmer le jeu. Patricia Highsmith a le sentiment qu'on lui en veut ; et que c'est bientôt la France entière qui lui en veut. Bref, au bout de X mois, on lui inflige une pénalité. Celle-ci reste modique au regard de ce que les textes prévoient. Entre temps, la malheureuse a tout rapatrié en France. Elle n'a pas fait que ça : dépressive, persécutée, dit-elle, elle a déménagé, s'est installée entre la Suisse et l'Italie, dans un patelin perdu. Par mon entremise, elle s'acquitte de sa pénalité. Six mois plus tard, la réglementation en cause est abrogée. Mais Patricia Highsmith ne se remettra jamais de cette mésaventure et ne reviendra jamais en France... Des affaires comme celle-ci, d'une flagrante sottise, pendant près de vingt-six ans, combien y en eut-il ?
- Durant ces trois décennies, écriviez-vous ?
- Je n'aurais pas vécu sans cela. Le besoin d'écrire, c'est ce qui coule dans mes veines. J'ai écrit toute ma vie. Bien avant « Holçarté », Charles Exbrayat, qui éditait au Masque, s'est intéressé à ce que j'écrivais. Des romans policiers. Si après « Holçarté » rien n'est sorti, c'est que chez Calmann Lévy, le gérant de l'époque, Alain Oulman, n’a pas accepté le manuscrit suivant. « C'est une injustice que vous faites », observa Roger Vrigny en ma présence. J'en fus profondément blessé. Alain Oulman avait sans doute ses raisons. Vrigny n'a pas voulu les connaître. Moi non plus. Il continua à me lire jusqu'à son décès. Mais je ne voulais plus rien présenter à d'autres éditeurs. La crainte d'une nouvelle injustice ? C'est probable. Une injustice, en tout cas, que j'aurai difficilement supportée, à laquelle j'ai refusé de me confronter. Alors, j'ai continué, continué... Puis rangé dans les tiroirs.
- Vous « revenez » donc avec « Une poupée dans un fauteuil », chez Orizons, en 2008... soit deux ans avant « la retraite »... Pourquoi et comment, ce retour ?
- Ma mère est décédée en 2002. C'était en janvier. Les conditions de sa mort m'ont bouleversé : au milieu de l'été 2001, elle tombe dans la rue, dévale un escalier, se casse à demi, le sang coule sur le trottoir... On me l'a raconté, je n'étais pas là. Elle était avec une amie de son âge. Toute apeurée. Ma mère souffrait, ne pouvait plus bouger, mais les passants, pressés de retourner au travail, ça devait être vers 14 heures, de se mettre à l'abri de la chaleur, circulent sans la voir ou, du moins, l’évitent, car s'ils la remarquaient ils seraient obligés de faire quelque chose. Et alors, ce serait l'embarras, déjà que leur propre vie... A ce moment, comme j'aimais à le dire, j'avais mes trois femmes, et avec elles trois j'étais bien : ma mère, ma femme, Madeleine, et, Marie, ma fille... Longtemps, je n'ai pas accepté que l'une d'elles fût partie... Et puis j'ai écrit les six derniers mois de sa vie... Et Pierre Silvain, après avoir lu « Une poupée dans un fauteuil » m'a dit lors d'un déjeuner, presque sévère, que ce texte, je ne pouvais le ranger si aisément, comme les autres. Alors je l'ai adressé à trois éditeurs, des petites maisons, et tous les trois m'ont dit oui. J'ai choisi Orizons, à cause de Daniel Cohen qui m'a fort gentiment répondu. Sa lettre m'a donné envie de le connaître.
- Puis vous enchaînez, jusqu'à ce jour, avec un roman environ tous les 18 mois... Avez-vous la sensation d'avoir vraiment trouvé votre voie ?
- Trouvé, non, certainement pas. Accepté, oui. Je crois, je suis sûr que le besoin d'écrire auquel je n'ai jamais voulu céder, par crainte, je l'ai dit, de ne pouvoir en vivre, ou vivre tout court, ce manque de confiance qui m'a toujours retenu et m'empêche encore d'être moi-même, m'ont empêché d'être ce que j'aurais pu être dans d'autres domaines. Dans mon travail, tout simplement. Car toute ma vie, je n'ai pensé qu'à écrire. C'était obsessionnel. Ça l'est encore. Qu'à la phrase qui devait suivre la dernière que j'avais écrite. Tous les jours, je ne pense qu'à ça. Sûrement, il y a là quelque chose de viscérale. Ne me parlez pas d'addiction...
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