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salon du livre : - Quand et pourquoi avoir un jour commencé un premier roman ? Roger Béteille : - Onze ans, ma première velléité de romancier ! Une centaine de pages, jamais achevées bien sûr, avec pour sujet le Canada d'un enfant dont les rêves étaient nourris de Conrad et autres. Vers 1990, récidive du virus, plus sérieux cette fois. Pourquoi ? D'abord par excitation de l'esprit car un roman est une aventure très risquée pour un universitaire, dont l'écriture est formatée par des règles et des habitudes forgées au sceau de la logique absolue. Ensuite par envie d'écrire sur les sentiments et la vie telle qu'elle est. J'ai très vite compris que toute écriture est dialogue avec soi-même et avec le lecteur futur. En posant chaque mot, chaque phrase, il faut penser à cet inconnu qui voudra trouver du plaisir dans chaque page, se demander s'il aimera telle expression, s'il rêvera en découvrant les personnages. Et quand on met le point final, il y a la peur de tout créateur ! A-t-on réussi ou s'est-on fourvoyé sur toute la ligne? Pour moi qui délaisse un roman si je m'ennuie à la dixième page, l'envie de nouer une intrigue et de forger des personnages attachants fait aussi partie de l'envie d'écrire et de renouveler le risque à chaque roman. - La campagne est omniprésente dans votre oeuvre romanesque... avez-vous durant l'enfance connu un monde depuis disparu ? Pour moi la campagne est un lieu comme les autres, dans lequel je peux situer mes livres avec justesse parce que j'y ai longuement vécu, même si dans la Maison sur la place je parle de la ville et d'une société bourgeoise. Mais je crois que la campagne, avant de se banaliser, a été le théâtre de conflits, de passions, qui sont des sujets formidables pour le romancier, à condition de ne pas tomber dans le folklore ou l'idée que tout était bien autrefois. Dans mes romans, je crée des personnages noirs, des héros sympathiques, des histoires d'amour ou de haine, mais jamais un magma de nostalgie ruraliste. Disons aussi que dans le roman de terroir, il doit d'abord y avoir roman, action, personnages justes, dialogues. On peut lire deux mille pages sur les coutumes du Rouergue, de la Bretagne ou de la Provence en se barbant interminablement. - S'inscrire dans le terroir, est-ce pour vous un acte politique ? Sans doute un peu! En parlant des paysans, des ouvriers ou simplement d'une région qui est tenue pour un trou perdu, on donne de la dignité à ces gens et à ces campagnes. Comme bon nombre de romans régionaux trouvent une belle place parmi les lecteurs, cela remet les pendules à l'heure par rapport à un certain parisianisme. Je soulignerai aussi que les ruraux, taxés d'inculture souvent, sont des lecteurs très motivés. - Références littéraires ? Je ne me réfère à personne. J'aime ou je n'aime pas : Villon plus que le Roman de Renard, Rabelais plus que Marot, Racine plus que Corneille, Choderlos de Laclos plus que Rousseau, Maupassant plus que Zola. Et aujourd'hui Duras, Hortense Dufour, Grimbert, Giono, Pierre Magnan et quelques autres. - Ecrit-on d'abord pour soi ? Pour se connaître ? Comme écrire est un grand plaisir pour moi, je peux considérer que je suis d'abord un égoïste et que j'écris donc pour moi dans une première approche de mon roman. Mais tout créateur a besoin d'un public. Donc, même si je ne pense jamais à tel ou tel type de lecteur, je suis heureux de rencontrer le succès et l'approbation de mon public. Et puis, il y a ces héros ou ces héroïnes avec lesquels on vit. Quand j'ai consacré des heures et des heures à Marie, la jeune femme de courage et de passion, dans Le Mariage de Marie Falgoux, puis la Chambre d'en haut, je ne sais plus si elle est une fiction ou quelqu'un que je vais rencontrer en sortant ! - Votre ambition artistique ? Un livre a quelque chose d'un tableau. Donc je veux qu'il soit beau par la manière dont il maintient l'intérêt jusqu'à sa fin, par la justesse des sentiments et des personnages, par son écriture. Je fais partie de ceux qui peuvent passer une heure sur un mot ou une nuance. - Où peuvent vous rencontrer les lectrices et lecteurs ? Au salon du livre de Paris, du 13 au 15 mars prochain, au salon de Langres le 17 mai,à la foire aux livres de Brive en novembre, au salon du livre de Pamiers le 14 juin et dans de nombreux salons de l'Aveyron, du Lot ou d'ailleurs. Sur Internet et les différents sites commerciaux de vente de livres en ligne et sur aveyron.com (interview Roger Béteille et l'Aveyron au XXieme siècle) - A quand votre site internet ? Une idée à creuser... - Qu'attendez-vous d'internet ? La diffusion des ouvrages évidemment, mais aussi les réactions des lecteurs du net, des remarques qu'on ne fait pas dans un salon ou en librairie. - Internet peut aussi créer de la confusion si on ne se préoccupe pas de sa présentation ! Ainsi pour wikipedia, souvent présenté comme "je sais tout" : Roger Béteille, né à Vors (Aveyron) le 28 août 1921, est un ingénieur aéronautique, surnommé Monsieur Airbus en tant qu'initiateur du programme de l'avion du même nom. Et pas d'écrivain du même nom ! Vous avez une vie multiple mais pas de multiples vies ? Je connais Roger Béteille, ancien directeur d'Airbus, Aveyronnais de naissance lui aussi. Mais chacun a ses points forts, les miens n'étant pas de construire des avions. Heureusement pour les passagers éventuels! Par contre la confusion introduite par Wilkipedia est gênante. On touche là les limites de cette encyclopédie collective, que beaucoup d'internautes consultent en pensant que tous ce qui est écrit est exact et vérifié. Il reste à mes lecteurs à proposer un article <<Roger Béteille, écrivain...>> - Sony et Amazon essayent de relancer le livre numérique. Sony a même un accord avec la Fnac et le groupe Hachette. Que pensez-vous de l'édition numérique ? Je crois qu'elle peut être très utile pour les sujets scientifiques, techniques ou universitaires. Par contre, je reste attaché au livre papier, parce que il est d'abord objet palpable, visible, avec sa couverture, son texte, son épaisseur et qu'il figure dans une bibliothèque, avec sa place sur les rayonnages. Et puis, je ne suis pas collectionneur, mais le livre dit ancien doit avoir des <<successeurs>> parmi les livres d'aujourd'hui. - Pensez-vous qu'une simple baisse de 10% du prix du livre numérique par rapport au livre papier va inévitablement conduire à un échec de ce modèle économique ? Pas du tout! Même si les poulets aux hormones et les dindes en batterie, les escalopes panées occupent les linéaires des hypers, il reste des amateurs de magrets et de saint-estèphe... - Je précise ma question : quand le lectorat aura acquis le réflexe de la lecture numérique (peut-être pas pour l'ensemble des livres), acceptera-t-il de payer 90% du prix du livre papier ? Les fichiers numériques existeront et l'échange gratuit, comme pour la musique, ne vous semble-t-il pas inévitable avec ce tarif déraisonnable ? La menace que représente le numérique existe bien sûr, mais je persiste à espérer que le livre papier déclenche une réaction <<physique>>, lecture, toucher, aspect, couverture, place dans une bibliothèque, qui retiendra un nombre importants de lecteurs pour les livres de plaisir: essai, roman, ouvrages cadeaux. - En quelques années, de nombreuses récompenses, est-ce le sentiment d'avoir atteint un objectif ? Les prix et les récompenses sont agréables. On rencontre à cette occasion des gens, des associations qu'on n'aurait pas rencontrés. Mais pour moi il n'y a jamais eu d'objectif. La première phrase d'un roman ouvre chaque fois une nouvelle inquiétude: celle de tomber en panne. Quand on arrive à la dernière page, on prend son pied. Si dans les mois qui suivent les lecteurs sont là, on se dit que c'est pas trop mal. Si un prix <<couronne>> le livre, c'est la cerise sur le gâteau. Mais on ne fait pas le gâteau pour la cerise ! D'ailleurs le philosophe Hegel n'a-t-il pas dit : <<La chouette ne se lève qu'à minuit>> ? Pour dire qu'il faut d'abord arriver à minuit pour savoir si ce que l'on a fait était bien. - Ce prix littéraire est le cinquième de votre aventure littéraire... les prix sont indispensables à un auteur ? Marquent des jalons ?... Les prix sont une certaine reconnaissance, nullement indispensable d'ailleurs pour un écrivain. Mais dans la mesure où ils sont de nature variée, ils prouvent que l'on intéresse des milieux et des lecteurs variés, ce qui est tout de m^me une indication positive. Je crois aussi que les prix sont importants pour ceux qui les décernent car ce sont des gens qui chacun à leur manière et à leur place font des efforts pour la littérature, méritoires en particulier lorsqu'il s'agit d'une petite association sans beaucoup de moyens. - Pourquoi avoir participé à un prix littéraire sur internet ? Parce qu'il se situe hors des sentiers habituellement battus par les prix, tant par son jury que par son rayonnement. Et qu'il correspond à une forme déjà importante de diffusion du livre. - Dans dix ans peut-être (ce qui signifierait survivance du site !) des internautes découvriront votre interview. Ce nouveau rapport au temps lié à internet, qu'en pensez-vous ? Sait-on ou peut-on imaginer ce que sera le temps sur Internet? Les souris grignotaient le papier, mais le formidable renouvellement des données sur le net n'est-il pas plus menaçant pour l'écrit ou la parole? Mais défions les rongeurs numériques ensemble, le site en se battant pour persister, les auteurs en créant toujours ! - La rivière en colère... Hilarian, c'est un peu vous ? Ou un peu les derniers paysans qui devront s'effacer devant la logique économique ? Je ne suis pas Hilarian, sinon par le fait que j'ai grandi dans une vallée du bout du monde comme lui. Par contre, les vieux paysans sont bien engloutis sous la marée du progrès. Mais, je crois qu'il reste encore de la place pour des agriculteurs individuels amoureux de leur terre pour des produits de qualité. - Quand vous fermez un livre comme celui-là, vous pensez à son adaptation au cinéma ? RB et le cinéma ? Bien sûr, la Rivière en colère ou Retour à Malpeyre seraient le support de séries télévisées ou de films, comme les Chiens muets notamment. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres car chacun sait bien que retenir l'attention d'un réalisateur dépend aussi de filières assez mystérieuses. J'ai eu un contact précis il y a longtemps pour un roman historique : Sel rouge. Je suis même rentré de vacances parce qu'on me demandait d'écrire des dialogues. Mais finalement le projet a capoté sur une somme de plusieurs millions de francs qui manquait pour boucler les choses. - Les combats perdus d'avance changent celles et ceux qui les vivent ? Quand des grenouilles tombent dans une bassine de crème, il y a deux catégories : celles qui ne changent pas leur comportement et qui se laissent couler; celles qui gigotent si fort que la crème se transforme en beurre et qu'elles se retrouvent dessus... Il faut essayer de choisir si on a le choix. - Votre actualité... c'est aussi Retour à Malpeyre... Avec la Rivière en colère, on était dans les gorges. Avec Retour à Malpeyre, on respire fort l'air de l'Aubrac. Mais la Nature tient toujours une belle place dans ce roman. Et l'Aubrac que je peins n'est pas pavé que de vertus familiales ou de bluettes amoureuses. J'ai voulu au contraire faire partager au lecteur la vie d'un village où s'affrontent les clans, où les jeunes vierges succombent aux pulsions de la chair et où les passions comme les secrets sourdent dans les maisons étouffoirs, franchissant l'épaisseur des murs de basalte. - Vous recevez une récompense pour "le roman 2008", vous présentez "le roman 2009" et je vous suppose dans l'écriture du "roman 2010"... ce décalage entre votre temps d'écriture (donc vivre avec de nouveaux personnages) et la présence des livres pour vous fermés, est-ce un plaisir ? J'écris ce que j'ai envie d'écrire, quand cela me convient. Ensuite, il y a les dates de l'éditeur, celles des jurys des prix qui s'intéressent à mes livres, généralement au titre de l'année précédente. Il faut donc se satisfaire de ces décalages. Mais je ne referme pas mes romans en les oubliant. Il m'arrive assez souvent d'en relire complètement un pour le plaisir. Donc écrire un nouveau livre, ne plonge pas mes personnages précédents dans la soupe. Je serais un père indigne, si j'abandonnais mes enfants dès qu'accouchés... |
Sur le forum du salon 17 avril 2020 :
Christian Rauth interview diffusée en avril 2020 texte et vidéo. Voir également la page du salon : lectrices et lecteurs (note : du roman Le Traducteur Eric Fouassier ) avec ce texte. Et Jessica Lefèvre lauréate du premier prix littéraire en 2018 (présentation du ministre : à voir) . |